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L’autre fille (2011)

Présentation du roman d’Annie Ernaux (Edition Nil)

samedi 14 mars 2015

par (Jacqueline)

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Le livre s’ouvre sur la description minutieuse d’une photo de bébé. Le lecteur peut penser qu’il s’agit de l’auteur, c’est ce que la narratrice croyait quand elle était petite. Mais la vérité tombe comme un couperet à la fin de l’incipit : Quand j’étais petite, je croyais - on avait dû me le dire - que c’était moi. Ce n’est pas moi, c’est toi.

D’emblée, Annie Ernaux, s’adresse à cette sœur défunte, l’autre fille, sous le signe de la négation. Cette sœur, qu’elle n’a pas connue puisqu’elle est morte deux ans et demi avant sa naissance, figure sur le livret de famille mais pour elle, elle n’est qu’une absence :
Mais tu n’es pas ma sœur, tu ne l’as jamais été. Nous n’avons pas joué, mangé, dormi ensemble. Je ne t’ai jamais touchée, embrassée. Je ne connais pas la couleur de tes yeux. Je ne t’ai jamais vue. Tu es sans corps, sans voix, juste une image plate sur quelques photos en noir et blanc

Suit alors ce que l’auteur appelle la scène du récit, celui de la révélation de l’existence de sa sœur. La scène se passe pendant les vacances 1950 : la narratrice a 10 ans, elle est en train de jouer avec une petite camarade, quand soudain, elle est alertée par la voix de sa mère, plus basse d’un seul coup, qui parle à une autre femme :
Elle raconte qu’ils ont eu une autre fille que moi et qu’elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre à Lillebonne. Elle décrit les peaux dans la gorge, l’étouffement. Elle dit : « elle est morte comme une petite sainte »
elle rapporte les paroles que tu lui as dites avant de mourir : « je vais aller voir la Sainte Vierge et le bon Jésus »…
A la fin, elle dit de toi « elle était plus gentille que celle-là »
Celle-là, c’est moi
.

En un instant, la petite fille découvre l’existence et la mort d’une sœur qu’elle ignorait complètement et elle entend aussi qu’elle-même est moins gentille. Non seulement, elle n’est plus l’unique et devient la seconde mais elle est comparée à l’autre et le jugement tourne en sa défaveur :
Entre eux et moi, maintenant il y a toi, invisible, adorée. Je suis écartée, poussée pour te faire de la place. Repoussée dans l’ombre tandis que tu planes tout en haut dans la lumière éternelle.

Soixante plus tard, l’auteur revient sur ces paroles qui ont bouleversé sa vie et évoque comment elle a vécu et grandi avec ce fantôme de sœur. Elle essaie de mettre un nom sur ce qu’elle avait ressenti à l’époque sans pouvoir l’exprimer : Quelque chose comme « flouée » ou plutôt « dupe ». Elle s’était laissée tromper, elle avait vécu dans l’illusion d’être l’unique et dès lors tout l’amour qu’elle croyait recevoir lui semblait faux.

Dans une seconde partie, elle va encore plus loin dans l’analyse, essaie de démêler ses sentiments ambivalents vis-à-vis de sa mère, la détentrice du récit, la profératrice du jugement. Elle évoque la douleur de ses parents qui ne se sont pas remis de ce deuil et se demande pourquoi ils ne lui ont jamais parlé de cette sœur, et aussi pourquoi elle ne les a jamais interrogés, même à l’âge adulte. Elle réalise le lien étroit qui existe entre la mort de sa sœur et sa vie à elle : ses parents ne voulant qu’un seul enfant, elle est venue au monde pour remplacer la sœur qui était morte. Dit autrement, pour exister, il a fallu que l’autre meure.

Pour finir, elle se demande si cette lettre adressée à la défunte n’est pas une façon d’acquitter une dette imaginaire en faisant revivre cette sœur qui lui a permis d’exister et de se libérer enfin de cette ombre qui la hante.

Dans ce récit, j’ai aimé la rigueur d’Annie Ernaux pour interroger ce lien avec la sœur défunte sans céder à la facilité ni inventer un sentiment qui n’a jamais existé. En très peu de mots elle évoque beaucoup de choses, de la vie, de la mort, du secret, avec en toile de fond la société des années cinquante : les relations enfants-parents, les croyances religieuses…

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