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Le choix d’Élise

lundi 21 avril 2014

par (Dominique Mellon)

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A-t-on déjà appris, à 18 ans, à discerner pour faire des choix à la fois personnels et judicieux ? Qu’en coûte-t-il de grandir quand l’adolescence semble nous apporter un certain confort ?

Élise rentrait du lycée, préoccupée par la date du bac qui approchait ; sa classe de première et celle de terminale avaient été plus que studieuses ; mais elle avait toujours tendance à se comparer aux élèves brillants de sa classe ; elle s’estimait quelque peu ambitieuse de prétendre à intégrer Sciences-Po : c’était pourtant avec assiduité qu’elle en avait suivi la préparation.

Elle s’était présentée aux concours de 4 villes, à la fois déterminée mais avec une confiance limitée ; elle avait reçu 3 réponses négatives qui l’avaient affectée plus qu’elle ne l’aurait cru.

Comme d’habitude, elle ramassa machinalement le courrier de la boîte à lettres familiale et ne s’aperçut qu’en arrivant au troisième étage qu’une des lettres la concernait : un courrier en provenance de Sciences-Po Strasbourg : une forte émotion l’envahit et elle fourra rapidement la lettre dans son sac avant d’introduire la clé pour ouvrir l’appartement. Elle appela : papa ! maman ! Personne. Elle posa le courrier destiné à ses parents sur la console de l’entrée puis se précipita dans sa chambre ; elle était finalement satisfaite de se retrouver seule pour ouvrir son courrier ; son cœur battait fort, elle s’assit sur son lit, décacheta à l’arrache l’enveloppe et poussa un hurlement de joie : elle était admise pour septembre, sous réserve bien sûr de l’obtention du bac. Elle se précipita sur son téléphone portable pour appeler ses parents et sa meilleure amie, puis se ravisa... ça pouvait attendre... Elle se rassit.
Heureuse, ravie, émue, elle se calma : mais son esprit filait à toute allure vers son avenir : quitter le cocon familial de Lyon, s’installer à Strasbourg, devenir autonome, se faire de nouveaux amis : que de nouveautés heureuses en perspective....son esprit filait, filait sur une presque toute nouvelle vie ; et c’est avec une confiance en elle peu habituelle qu’elle rêvait... Puis elle se leva d’un bond, relut en chantonnant le contenu de ce courrier presque inespéré. Elle sautilla jusqu’à la porte-fenêtre du balcon de sa chambre ; elle l’ouvrit tout grand : et là, face aux arbres de la copropriété, elle respira longuement et profondément plusieurs fois. Les prunus et les forsythias en fleurs lui parurent magnifiques, l’air doux du printemps lui sembla divin et les 3 canettes de boisson qui jonchaient la pelouse ne l’irritèrent même pas. Elle allait quitter ce jardin familier : les balançoires de son enfance, les taillis propices aux jeux de cache-cache, les allées bien entretenues : tout cela lui paraissaient presque déjà du passé !

Une certaine sérénité la gagnait ; elle retourna à l’intérieur et composa le numéro du bureau de sa mère.

Sa mère n’avait pas caché sa joie mais avait rapidement orienté ses propos vers les problèmes et les soucis matériels que ces études à Strasbourg allaient entraîner. Était-ce, se demandait Élise, une façon d’exprimer ses inquiétudes au regard du projet de sa fille unique ? Mesurait-elle déjà le vide qu’allait occasionner son départ ?

Élise reposa le combiné, quelque peu freinée dans son enthousiasme. Elle se promettait déjà de prendre un abonnement de train qui lui permettrait de rentrer souvent à Lyon les fins de semaine. Elle avait ainsi l’intime conviction de rassurer ses parents par ce biais-là.

Élise décida de ne pas appeler son père ; c’est le soir, au cours du dîner qu’ils discuteraient tous les trois de l’organisation de sa future vie d’étudiante. C’est à ce moment qu’elle réalisa que son souci pour l’obtention du bac s’estompait totalement ; elle en avait intégré inconsciemment l’obtention alors que les résultats n’étaient prévus que pour dans quelques jours, elle ressentit un petit vertige intérieur rapide mais dérangeant.

Que faire de son après-midi ? Après un léger repas, elle se rendit chez sa meilleure amie, étudiante sur Lyon en première année de médecine.
Zélie l’accueillit avec plaisir, et la félicita pour la bonne nouvelle. Élise avait repris tout son enthousiasme, et parlait, parlait.....une véritable explosion de projets. Zélie l’écoutait. Son monologue agité enfin terminé, elle se tourna, encore toute rose d’émotion vers Zélie : Zélie se taisait, l’air concentré, presque grave. Élise en montra un visage surpris et interrogateur et même déçu.

Lorsqu’elle se mit à lui répondre, Zélie essaya de prendre un ton léger ; elle avait perçu le désarroi de son amie de toujours. « Elise, dit-elle, je suis heureuse de ton admission, mais comprends-moi, je vais quelque peu te perdre ; ce n’est pas facile pour moi ; par ailleurs, reviens un peu ou même beaucoup à la réalité : crois-tu qu’il soit facile de changer de ville, de te faire de nouvelles relations, de te trouver un logement qui te plaise, de t’éloigner de tes parents ? Je vais sans doute te paraître rabat-joie mais j’apprécie de vivre encore avec mes parents, d’être encouragée au quotidien, de sortir avec mes amis de toujours et d’être heureuse dans ma ville natale....Réfléchis à tout çà Élise ! »

C’est avec attention qu’Élise avait écouté sa meilleure amie ; mais tout cela la désorientait, la chiffonnait, la peinait presque.

Après le départ de Zélie, Elise se retrouvait à la fois remplie des paroles de son amie et vidée de son énergie ; elle n’était pas bien ; il lui fallait faire le point et laisser passer la nuit.
Elle se promettait de dissiper ce malaise en allant rendre visite dès le lendemain matin à sa meilleure amie ; toutefois, un sentiment d’appréhension et de crainte mal définie l’envahissait quelque peu. Elle eut du mal à s’endormir.
Le lendemain, elle se mit en route pour la maison de Zélie, résolue à démonter gentiment les arguments de son amie : comment les remarques de son amie avaient-elles pu la désorienter hier à ce point ?
Zélie lui ouvrit tout sourire, l’embrassa et la fit asseoir. Elle s’en était voulue, la veille, d’avoir été si franche et si directe avec son amie, et l’avoir ainsi autant bousculée. Pourtant, en y réfléchissant, elle était sûre que ses remarques étaient justifiées ; elle avait donc pris la résolution de revenir sur ses propos ; elle prit la parole la première :
« J’ai bien réfléchi, Elise, j’y suis allée un peu fort hier ; tes projets sont les tiens ; ils te tiennent à cœur depuis longtemps. Vas-y. Fonce. Ne tiens pas compte de mes paroles. Bien sûr, tout ne sera pas toujours facile pour toi mais suis ton chemin. Notre amitié ne s’en trouvera pas affectée : nous nous verrons aux petites vacances ; je pourrai même aller te voir à Strasbourg, c’est d’ailleurs une ville que je ne connais pas ; tu pourras me la faire visiter ! »
Tout en parlant, Zélie pensait aux difficultés de toujours de son amie à aller vers les autres et à envisager de courtes séparations avec ses parents même pour des périodes courtes. Elise n’avait qu’une amie, elle. Elle se disait que spontanément, elle avait visé juste dans ses remarques mais qu’après tout...

Elise fut à la fois surprise du retournement de son amie mais réconfortée. Elle s’était pourtant dit qu’elle ne pouvait tout de même pas négliger les paroles de celle qui la connaissait si bien depuis son enfance et à qui elle s’était toujours confiée.
« Merci Zélie, tout cela me rassure, mais je peux t’avouer que j’étais bien secouée hier soir. J’ai encore quelques jours pour réfléchir avant de prendre une décision ; je vais en parler à mes parents dès ce soir. »

Au fond d’elle, Elise avait pris sa décision, mais elle ne voulait pas froisser son amie ; elle avait l’impression d’avoir compris le fonctionnement et les attitudes de Zélie dans cette affaire.
Zélie était sa seule amie et elle le resterait.
Elle entra dans sa chambre un peu abattue. Elle décida de ne rien dire à ses parents des conversations qu’elle avait eues. Rentrée chez elle, Élise passa un long moment dans sa chambre avec Zélie.
Elle craignait qu’ils ne fissent eux aussi des commentaires qui ne feraient qu’en rajouter à son malaise personnel.
Elise avait bien ressenti que sa mère vivait déjà difficilement la perspective de son départ, et cela la peinait vraiment.
Au diner, ce fut son père qui lui demanda si elle avait constitué son dossier définitif pour Strasbourg. Surprise, tête baissée sur son assiette, elle bredouilla qu’elle était en train de le finaliser. Et là encore, elle fut envahie d’un mal-être qui tarda à se dissiper. Élise ne se reconnaissait pas, elle qui avait accueilli avec tant d’enthousiasme son admission, il y a deux jours. Mais que s’était-il passé ?
Elle avait hâte de se retrouver dans sa chambre.
Les idées se brouillaient dans sa tête lorsqu’elle s’allongea sur son lit. Elle essayait d’y mettre de l’ordre ; elle se remémorait la chronologie de ce qui s’était passé depuis deux jours : qu’allait-elle faire ? qu’allait-elle décider ?
Les résultats du baccalauréat seraient connus le lendemain : et si elle avait échoué ? Cela remettrait à plus tard toute décision d’enseignement supérieur ....une solution pas si inconfortable au fond.....

Elle hésita à appeler son amie pour lui faire part de son désarroi. Mais non ! Sa décision, elle la prendrait seule, comme une grande. Il lui fallait un peu de temps, c’est tout, pour retrouver sa sérénité et choisir. Mais le malaise était là, tapi au fond de son cœur et de son esprit.

Elle décida de se plonger dans un roman policier pour oublier.

Élise n’accrocha pas du tout au roman qu’elle avait choisi. Sa tête bouillonnait de pensées, d’idées et de sentiments souvent contradictoires. Elle posa le livre.

Demain serait le jour des résultats du bac : que ferait-elle si elle avait réussi ? Élise se sentait à la fois anxieuse, énervée et impatiente. En vain, elle essayait de faire remonter en elle le bonheur qui l’avait envahie en recevant son admission à Strasbourg. Mais elle n’y arrivait pas. Elle se sentait incapable de se réjouir de quoi que ce soit ; elle se sentait très seule ; elle alluma la télévision.
Le lendemain, à l’heure de l’affichage des résultats, Élise se trouvait devant le panneau, un peu perdue et désorientée : sa réussite, avec la mention bien ne la fit pas sauter de joie ; elle s’éclipsa rapidement du groupe de camarades et décida de rentrer chez elle au plus vite. La marche à faire jusqu’à son domicile lui permit de se calmer, de respirer profondément et de se sentir quelque peu soulagée. Arrivée au pied de son immeuble, elle choisit finalement de continuer à marcher pour réfléchir ; elle retraversa le parc de la copropriété, le trouvant tout à coup étriqué, s’arrêta pour regarder de loin la porte-fenêtre et le balcon de sa chambre. Elle semblait s’éloigner déjà de ses 18 années passées ici.
Elle s’assit sur un banc, un peu rêveuse, un peu perdue, mais plutôt heureuse de cette mention inattendue.

Le temps passait ; la décision qu’elle souhaitait prendre seule l’effrayait. Voilà déjà une heure qu’elle s’était assise, jetant parfois un œil sur le parc et sur l’immeuble, cogitant de façon anarchique, ou bien pensant à ses parents et à Zélie : rien de logique dans sa tête, de nombreux sentiments en demi-teinte, aucune lueur de décision.

Son portable sonna, la sortant de ses pensées. Zélie la félicitait très chaleureusement pour sa brillante réussite : « Alors, ajouta -t-elle, plus de doute n’est-ce pas, tu pars pour Strasbourg, lui dit-elle d’un ton ferme et enjoué ! ». Très remuée par cet appel, Élise la remercia et ajouta qu’elle réfléchissait encore. Zélie lui coupa quelque peu la parole : « Élise, tu as une chance en or de pouvoir intégrer Strasbourg ; je suis très fière de toi ; je suis très heureuse pour toi. Ne te pose plus de questions ! »

Élise pleurait d’émotion ; toutes ses tensions tombaient ; elle raccrocha pour appeler ses parents.

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