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Les canuts à la Croix Rousse

mercredi 4 mars 2009

par (Jean-François)

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Cet article fait suite à une visite de la Croix Rousse commentée par Robert Luc, journaliste indépendant et écrivain croix-roussien.

L’installation des canuts à la Croix Rousse

Depuis le XVème siècle, les tisseurs de soie Lyonnais étaient installés dans le quartier Saint Jean mais, avec la mise en œuvre des métiers Jacquard au XIXème siècle, les ateliers s’avèrent inadaptés : il faut envisager de nouvelles constructions.

Une des dernières "Gloriettes"

Les bords du Rhône étant trop humides pour le stockage des fils de soie, les tisseurs choisissent le plateau de la Croix Rousse, dont l’est est pratiquement inoccupé : des vignes, quelques « Gloriettes », ces maisons secondaires appartenant à de riches Lyonnais.

Les immeubles de canuts sont typiques d’une architecture industrielle exclusivement adaptée aux contraintes du tissage :

Un immeuble canut

- façades sans décorations,
- hauteurs de plafonds permettant l’installation des métiers Jacquard,
- poutres importantes pour supporter le poids et les vibrations des métiers,
- passages directs (les « traboules ») permettant de descendre rapidement les rouleaux de soie, des pentes de la Croix Rousse vers le quartier des négociants.

L’organisation du travail

**Une organisation artisanale

Depuis son origine, l’organisation était de type artisanal : le tisseur achetait le fil de soie dans les magnaneries (en Ardèche), prenait en charge l’ensemble de la production et vendait directement à ses clients.
Avec l’évolution des techniques de production, cette organisation va être bouleversée : la spécialisation des rôles se développe entre deux acteurs principaux :
- Les négociants, en contact avec le client final, qui achètent le fil de soie et passent un ordre de production au tisseur (le canut).
- Les canuts, qui assurent donc le tissage en tant que sous-traitant du négociant, pour une commande précise.
En fait un grand nombre de métiers viennent compléter cette organisation : mouliniers, teinturiers, dévideurs, ourdisseurs, plieurs, apprêteurs, ... Au total on compte plus de deux cents métiers contribuant à la production de la Croix Rousse.

**Le déroulement de la production

Le déroulement d’une production est donc la suivante :
- Le négociant est en relation avec les clients (appartenant souvent au clergé ou à la noblesse, ainsi qu’en atteste la chanson des canuts !).
- Le canut vient chercher des commandes auprès des négociants ; les contacts ont lieu dans les halls des immeubles du bas des pentes, près de l’actuelle place de l’Hôtel de Ville. Le contrat est établi sur la base d’un tarif général, négocié entre les professions, il détaille le motif, la qualité et fixe un délai de livraison. Le négociant fournit la quantité de fil de soie nécessaire à la commande.
- Le Canut met la commande en production dans son atelier de la Croix Rousse. Il est propriétaire de cet atelier, qui comporte en général de un à six métiers (les « bistanclaques », ainsi nommés en raison de leur bruit !). Il est aidé par des compagnons, salariés à la journée et qui vivent dans le même logement que le patron.
- Lorsque la pièce de soie est terminée et contrôlée, le compagnon la porte au négociant (en la descendant par les « traboules » jusqu’au local du donneur d’ordre).Le négociant la contrôle à son tour et, si tout est correct, paie la commande.

Le traboule de la cour des Voraces

**La spécialisation des tâches

Cette spécialisation des tâches est sans doute à l’origine de la qualité et de la prospérité des soieries Lyonnaises (et d’ailleurs cette prospérité va progressivement disparaitre avec la banalisation des productions- dixit Thierry) ; mais elle est aussi à l’origine des conflits cycliques que va connaitre la production, en fonction des aléas de la conjoncture et des tensions entre négociants donneurs d’ordres, qui ont la maitrise du marché, et canuts sous-traitants.

Les conditions de travail et l’organisation sociale des canuts

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L’organisation sociale est particulièrement avancée, les canuts représentant au XIXème siècle l’avant-garde de la classe ouvrière :
- Niveau de scolarisation élevé, avec huit années d’études et d’apprentissage. Il n’était pas rare que les canuts connaissent le grec et le latin.
- Protection sociale bien formalisée, avec un système des mutuelles prenant en charge les aléas du travail (mais exerçant aussi un contrôle social pesant...).
- Culture syndicale développée, avec l’apparition d’un des premiers journaux ouvriers en France (l’Echo de la Fabrique). Les idées saint-simoniennes et fouriéristes se sont très vite répandues dans la population des canuts.

Pour autant, les conditions de travail restent dures :
- Temps de travail important, souvent 18h par jour en périodes de commandes intenses.
- Conditions de logement difficiles, les ouvriers canuts vivent dans les ateliers ou les sous-pentes des immeubles.
- Précarité de l’emploi, dépendant entièrement des commandes des négociants et du rapport de forces avec ceux-ci.

La révolte de 1831

A l’automne 1831, suite à une crise de la production (effondrement des ventes en Amérique du Nord), les canuts demandent une revalorisation des tarifs qui fixent les prix des commandes des négociants. Un nouveau tarif est officiellement signé sous l’égide du préfet mais plusieurs négociants refusent de l’appliquer.

La révolte des canuts
"Vivre en travaillant ou mourir en combattant"

Le 21 novembre, l’insurrection éclate : depuis la Croix Rousse (alors commune indépendante) les canuts descendent sur Lyon, plusieurs corps de garde de l’armée sont incendiés. On relève près de 200 morts, tant du coté des militaires que des insurgés. Les canuts se rendent maitres de l’Hôtel de Ville puis de la ville entière, mais aucun pillage n’a lieu. Les canuts, qui n’étaient entrés en révolte que pour l’application d’une convention signée refusent toute récupération politique de leur mouvement.
Le 28 novembre, Casimir Périer, président du Conseil, envoie une armée de 20.000 hommes qui reprend possession de la ville, sans effusion de sang. 90 ouvriers sont arrêtés, le tarif négocié entre négociants et canuts est annulé.
Le gouvernement décide la construction d’un fort pour séparer la Croix-Rousse de la ville de Lyon ; ce fort existe toujours à l’extrémité est du Boulevard de la Croix Rousse.

Le fort de l’Est

Trois autres insurrections vont suivre, en 1834 (la "semaine sanglante"), puis en 1848 et 1849 (Les insurrections des Voraces). Après les révoltes, certains négociants cherchent à faire produire ailleurs qu’en ville. L’émigration des métiers vers les campagnes s’accentue. Les ouvriers étant disséminés, les donneurs d’ordre évitent ainsi le risque de rébellion.
Progressivement, le bruit des métiers va s’estomper à la Croix Rousse (Bistanclac...). Il reste encore un artisan tisseur sur le plateau, il reste la « Maison des Canuts » sur les pentes, ... et bien sur tous ces immeubles si caractéristiques qui font la joie des bobos actuels !

Je ne pouvais décemment conclure cet article sans rappeler le chanson de Bruant, qui a immortalisé la situation des canuts au XIXème siècle. En voici donc le texte complet.

Bruant : la chanson des canuts

Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, Grands de l’Eglise,
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemises !

C’est nous les canuts,
Nous allons tout nus !

Pour gouverner, il faut avoir
Manteau et rubans en sautoir
Pour gouverner , il faut avoir
Manteau et rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous, Grands de la Terre,
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre !

C’est nous les canuts,
Nous allons tout nus !

Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde !

C’est nous les canuts,
Nous n’irons plus nus !

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