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La mondialisation

Deuxième article, consacré à la mondialisation

mercredi 13 mai 2020

par (Jean-François)

Il y a 11 messages de forum.

Mon précédent article "Ce qui nous attend (1/2)" était consacré à la relance de l’économie. Je voudrais aborder dans ce deuxième article (2/2) la mondialisation, en en regardant les conséquences mais aussi les conditions pour qu’une re-localisation se passe dans des conditions acceptables

La mondialisation, qu’est-ce que ça recouvre ?

Wikipedia définit la mondialisation comme la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques et de l’information. Je ne vais analyser que les deux points suivants :
- La mondialisation des productions industrielles.
- La mondialisation des productions agricoles.

1. La mondialisation des productions industrielles

Pour maximiser leurs profits, les entreprises ont intérêt à faire produire dans les pays où les coûts de production sont les plus faibles, et notamment les coûts de main d’oeuvre. Les entreprises du monde entier ont ainsi fait produire en Chine.
A noter que cette délocalisation des productions à l’autre bout du monde n’a été intéressante que grâce au coût ridiculement faible des transports maritimes, une aberration écologique.

La valse mondiale des productions

Cette délocalisation s’est ensuite accentuée avec l’éclatement de ce qu’on appelle les « chaînes de valeur » : la conception d’un produit, sa production, son marketing... sont répartis dans les pays où ça coûte le moins : conception d’une robe en Italie, fabrication du fil de coton en Turquie, confection au Bangladesh, etc.

Dernière optimisation : supprimer les stocks intermédiaires. C’est le "juste à temps" : chaque sous-produit est livré à l’assembleur au dernier moment. C’est très rentable si tout marche bien. Sinon, toute la production de l’entreprise est bloquée !

2. La mondialisation des productions agricoles

Pendant des décennies, les productions agricoles visaient à répondre aux besoins alimentaires des populations locales. Cette organisation n’était certes pas optimale, l’histoire étant émaillée de famines dues aux aléas climatiques, à l’épuisement des terres, aux guerres régionales...
Au XIXème siècle, une réorganisation de l’agriculture a été mise en oeuvre. Malheureusement, elle n’a pas été faite pour régler les problèmes ci-dessus, mais pour maximiser les profits agricoles, en spécialisant les productions par zones : le riz en Chine et en Orient, le coton en Turquie, le blé aux Etats-Unis et en France, etc. Une organisation favorisant la spéculation sur les stocks, avec les risques que cela entraîne : lors de la crise alimentaire de 2008, le prix du riz a doublé en Afrique de l’Ouest.

Les besoins alimentaires de la Chine, liés au développement de sa classe intermédiaire, ont également eu des effets négatifs :
- Achat de terres cultivables en Afrique et réaffectation des cultures pour répondre aux besoins chinois et non aux besoins d’alimentation locaux.
- Importations massives de porcs entraînant une industrialisation de l’élevage porcin. En Bretagne, par exemple, l’épandage des lisiers pollue les rivières et les nappes phréatiques, développe les algues vertes et détruit les réserves halieutiques.

Quelles sont les conséquences de cette mondialisation industrielle et agricole ?

  • Il faut reconnaître des aspects positifs
    • Les pays à bas coûts ont pu fournir du travail à leur population, la sortant, un peu, de la misère (exemple du Bangladesh).
    • Quelques pays en "voie de développement" ont su profiter de ce système pour investir dans l’enseignement, acquérir des compétences propres et finalement "damer le pion" à leurs commanditaires : la Chine, évidemment, en passe de devenir le premier acteur économique mondial, l’Inde, aussi, dans le secteur des services.
    • Les pays développés ont globalement bénéficié d’une baisse de coût des produits industriels : voitures, électroménager, électronique... Et d’une baisse des produits issus de l’agriculture.
  • Mais les effets négatifs sont flagrants et pour certains catastrophiques
    • Dans le domaine de l’énergie, les Etats européens n’ont pas soutenu leurs entreprises innovantes (par exemple en leur garantissant des commandes publiques)
      Culture de subsistance en Afrique

      et des secteurs essentiels ont ainsi disparu : les panneaux solaires maintenant fabriqués en Chine, les éoliennes, les batteries au lithium, etc.

    • Dans le domaine industriel, les dé-localisations en Chine ou en Europe de l’Est ont entraîné des pertes d’emploi : en 10 ans, l’industrie française a perdu plus de 500.000 emplois industriels.
    • Dans le domaine agricole, la mondialisation a mis en péril les cultures de subsistance nécessaires à la survie de populations fragiles, notamment en Afrique.
    • Surtout, dans le domaine de la santé, la dé-localisation en Chine de nos productions stratégiques a contribué à la catastrophe actuelle : insuffisance des masques de protection, des produits de tests, des respirateurs...

Quelles re-localisations faut-il envisager ?

Pour ma part, je vois trois priorités :

  • Le stockage et si possible la production en France (à défaut en Europe) des produits indispensables à notre santé : masques, produits de tests, respirateurs, vaccins, produits d’anesthésie...
  • La production des éléments nécessaires à notre sécurité énergétique. Ca suppose de reconstituer, au moins au niveau européen, les filières qu’on a laissé dépérir, panneaux solaires, éoliennes terrestres et maritimes, hydroliennes, moyens de stockage de l’énergie...
    Garantir nos sources d’énergie

    Il faut aussi une information transparente et un débat sur les coûts réels de l’énergie nucléaire (y compris la sécurisation des centrales et le démantèlement), comparés aux coûts des énergies renouvelables (y compris les coûts de stockage et de prise en compte de l’intermittence).

  • Le maintien des productions agricoles locales nécessaires à notre sécurité alimentaire. Il faut soutenir les agriculteurs (une population vieillissante), face au risque de mainmise capitalistique et de spécialisation des productions en vue de l’exportation. Cela suppose de développer la rentabilité des fermes, trop dépendantes des énergies fossiles et des intrants chimiques, de soutenir l’agriculture biologique, de développer les circuits courts de distribution (AMAP...). Cela suppose aussi de développer une recherche (technique et économique) visant à rendre l’agriculture biologique efficace et rémunératrice.

Quelles seront les conséquences économiques et comportementales de cette re-localisation ?

Re-localiser des productions devrait avoir des effets positifs en termes d’emploi (sous réserve de salaires suffisamment attractifs). Mais ne nous leurrons pas : re-localiser en France va avoir deux conséquences difficiles à faire accepter : :

  • Une hausse du prix des produits de consommation.
  • Une moindre disponibilité de certains produits, notamment agricoles.
Souvenirs, souvenirs...

En fait, la re-localisation va nous forcer à retrouver un type de consommation que nos parents (nos grands-parents, pour les plus jeunes) ont connu au sortir de la guerre : produits en vrac, pas de produits exotiques transportés par avion, pas de fruits ou légumes hors saison, voitures moins consommatrices et aussi moins confortables (la clim...), restrictions des voyages en avion, etc.

Il peut s’en suivre une consommation certes réduite, mais aussi mieux ciblée, plus durable et capable de soutenir notre économie. On peut avoir aussi une consommation bloquée au profit d’une thésaurisation dictée par la peur de l’avenir, avec le risque d’une récession durable de notre économie (Bruno Lemaire a exprimé cette crainte).
Pour éviter cet enchaînement, il nous faudra retrouver la confiance (le point faible de nos concitoyens), ce qui suppose une grande transparence dans les choix de développement qui seront faits. C’est tout un nouveau modèle économique et social qu’il va nous falloir concevoir collectivement, accepter et mettre en oeuvre.

La condition : réduction des inégalités et justice sociale

La crise de 2008, l’austérité qui s’en est suivi, les contraintes écologiques, les erreurs politiques effectives ou perçues (le Président des riches...)... ont mis en évidence nos inégalités sociales. La concentration des richesses constitue maintenant un vrai défi pour la cohésion sociale. Il va devenir intolérable (et potentiellement explosif) que certains soient contraints à une certaine modération et que d’autres aient les moyens financiers de s’en affranchir.

De nouveaux choix salariaux et fiscaux vont donc s’imposer :

  • Au niveau des salaires :
    • il va falloir mieux rémunérer celles et ceux qui sont en première ligne dans la crise sanitaire : tous les personnels soignants, bien sûr, infirmières, aides-soignants...
      Mais aussi les acteurs de seconde ligne dont on a vu à quel point ils étaient indispensables à la bonne marche de notre société : caissières, transporteurs, manutentionnaires, aides aux personnes âgées...
    • Cela suppose de faire des choix dans la répartition des richesses produites par les entreprises, entre dividendes, investissement et salaires. Je pense que les syndicats doivent être associés à ces choix, avec leur participation effective aux conseils d’administration des entreprises. On doit parier sur leur responsabilisation et leur conversion au réformisme, comme l’a fait l’Allemagne à qui ça n’a pas trop mal réussi.[breve58|insert|right]
    • Il faut peut-être ré-envisager le revenu universel (voir aussi la « monnaie hélicoptère » dans l’encadré ci-contre). Il présente de nombreux avantages :
      - En étant automatique, sans condition de ressources, remplaçant et complétant des aides pas toujours cohérentes, il échappe aux lourdeurs administratives de gestion de ces aides.
      - Il permet de toucher directement et facilement toutes les personnes qui en ont besoin, alors que 30% des aides actuelles ne sont pas demandées par leurs bénéficiaires (manque d’information, complexité).
      - Il présente peu d’effet d’aubaine pour les ménages aisés, l’aide étant reprise par l’imposition de leur dernière tranche d’impôt.
      - Ce surcroît de ressources doit permettre de relancer la consommation et de conforter la reprise économique.
      - On pourrait craindre un effet d’assistanat avec par exemple une moindre propension à chercher un emploi. C’est un risque à courir sans doute marginal au regard des avantages.
  • au niveau fiscal. Les impôts et taxes ont trois objectifs :
    - Fournir à l’Etat ou aux collectivités les ressources nécessaires à leurs actions.
    - Assurer une certaine redistribution des richesses au sein de la population.
    - Orienter les comportements de tout ou partie de la population

Je n’ai aucune des compétences requises pour envisager les réformes fiscales nécessaires dans ce nouveau monde qui serait le notre. Je peux tout au plus vous proposer quelques pistes de réflexions.

- L’Etat doit consacrer une réelle priorité à la lutte contre les inégalités sociales. Cela fait partie du « plus rien ne sera comme avant ».
- Sans entrer dans une rhétorique guerrière, la période me paraît appeler des mesures fiscales hors normes, avec un impôt sur les revenus et les patrimoines fortement progressif (ainsi que Roosevelt avait su l’imposer après la crise de 29). Crier à l’impôt confiscatoire me semblerait indécent.
- Enfin, la tragédie sanitaire que nous vivons ne doit pas occulter la crise environnementale et climatique dans laquelle on s’enfonce. Pour s’en tenir aux aspects fiscaux (il y en a bien d’autres), il faut taxer les émissions de CO², en aidant évidemment les populations les moins aisées à réduire leurs consommations énergétiques : isolation des logements, transports en commun, acquisition de voitures peu consommatrices, etc.

En résumé

  • Il n’est sans doute pas possible ni peut-être souhaitable de remettre en cause la mondialisation dans laquelle nous vivons.
  • Par contre on peut la corriger partiellement, en relocalisant en France ou en Europe les productions industrielles et agricoles qui sont les plus stratégiques pour notre avenir.
  • Cette re-localisation va entraîner une augmentation du prix de certains produits que nous consommons. A nous d’adopter une consommation équilibrée, respectueuse de l’environnement et privilégiant nos productions locales.
  • La ligne de crête est étroite entre le retour d’une économie débridée et le piège de l’austérité. Les conditions de l’équilibre sont dans la transparence des choix et un effort considérable de justice sociale et de réduction des inégalités.

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