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Ouzbékistan 2014 3/3

samedi 22 novembre 2014

par (Dominique V)

Il y a 3 messages de forum.

L’article précédent portait sur la double identité islamique et laïque de l’Ouzbékistan. Mais ce pays ne peut se comprendre sans connaissance de l’Histoire et notamment celle des liens entre la Russie au XIXème siècle et l’URSS au XXème siècle avec toute l’Asie centrale. C’est ce qui fait l’objet du présent article.

Dès 1850, toute l’Asie centrale est conquise par les Russes ; la Révolution de 1917 l’intègre de force dans le monde soviétique. Les Républiques soviétiques sont proclamées dès 1920 et les Khanats (petits Etats autonomes placés sous l’autorité d’un Khan) supprimés. Les derniers émirs fuient leur ville annexée par les Bolcheviques (histoire de Saïd Alim Khan). L’enseignement du russe devient obligatoire dès 1938 dans toutes les écoles.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette occupation qui dura un siècle et demi (l’indépendance de l’Ouzbékistan est proclamée en 1991) ? Que pouvons-nous voir et qu’avons-nous appris de nos interlocuteurs, nos guides notamment ?

Ce que nous avons vu

Dominique en Ouzbékistan


- Tachkent, une capitale remodelée par les Soviétiques

Le palace pour touristes à Tachkent

C’est une grande ville moderne, entièrement reconstruite après le tremblement de terre de 1966. Cette reconstruction a été faite par les ouvriers soviétiques que la propagande communiste encourageait : il fallait « aider le grand frère asiatique ». Son architecture témoigne de cette histoire : immenses avenues, immeubles de style « stalinien ».
Notre hôtel, gigantesque bâtiment de seize étages construit par les architectures russes (1974) en forme de livre ouvert (le Coran ?) peut accueillir dans un confort à la fois moderne et daté (décoration intérieure surchargée) des foules de touristes. Cependant durant la guerre d’Afghanistan, il fut transformé en hôpital pour accueillir les blessés russes…

Il reste aussi des éléments remarquables de l’architecture dite « tsariste », notamment l’ancienne demeure d’un diplomate russe, Alexandre Pölovtsev qui en fit avec intelligence un palais oriental, luxe intérieur et jardin merveilleux (aujourd’hui musée des arts décoratifs). Nul doute que l’aristocratie russe a cherché en Asie un mode de vie qui lui permettait d’échapper aux rigueurs de son pays, notamment climatiques.

- La récolte du coton : un travail planifié, une économie encadrée

La mi-septembre est à la fois la rentrée universitaire et le début de la récolte du coton. Les deux coïncident. En effet, tous les étudiants, à peine rentrés, doivent participer à la récolte. Aucune dérogation n’est admise et aucun médecin ne peut en délivrer durant cette période.
Nous avons vu des files de bus parcourir la campagne suivis de camions transportant - à ciel ouvert - des montagnes de lits pliants ! Chaque étudiant doit récolter un certain poids de coton par jour (5kgs ?). S’il ne le peut, il doit payer la différence. On comprend que les familles aisées peuvent -par l’argent- dispenser partiellement leurs enfants de ce travail.
Cependant les témoignages de nos guides, qui ont participé à cette récolte durant leurs études, ne sont pas « misérabilistes ». Ils semblent l’avoir vécue et acceptée comme une contribution à l’essor économique de leur pays.
Le coton, secteur clé de l’agriculture ouzbèke est un héritage du pouvoir soviétique, à la fois bénéfique et désastreux dans ses conséquences.

- La restauration du patrimoine

L’Ouzbekistan en est redevable à l’Union Soviétique. Restauration systématique, parfois même à l’excès. C’est le cas de la ville de Khiva devenu un décor des « Mille et une nuits ». Une partie de la population doit quitter la ville et aujourd’hui, celle-ci se présente sous deux formes : la ville extérieure (que les touristes ne voient pas) et la vieille ville séparée de la première par une enceinte en pisé haute de huit mètres.

Soleil couchant sur Khiva

Cette vieille ville, libérée des voitures et de tout ce qui pourrait être « moderne » est d’une beauté stupéfiante, surtout lorsque le voyageur qui arrive du désert, la découvre au soleil couchant : les murs en pisé offrent une ombre encore pleine de chaleur, la coupole bleue du mausolée Pakhlavan Kahmoud se détache sur le ciel qui s’assombrit peu à peu...

Tout a été fait pour que le voyageur oublie la cruauté de l’histoire de Khiva, l’un des plus grands marchés d’esclaves de toute l’Asie centrale. A cet égard, nous pouvons penser que le communisme –par le feu et le sang- a sorti l’Asie centrale d’une situation politique féodale dans laquelle elle s’enlisait.

Ce que nous avons appris

- Les populations étrangères

En parlant librement avec nos guides - qui maîtrisent parfaitement notre langue (apprise à l’école à partir du russe, langue obligatoire de l’enseignement) - nous découvrons quelque peu des réalités sociologiques étonnantes, notamment la présence de certaines populations comme celle des Coréens ; ceux-ci furent « déplacés » lors de la guerre de 1905 entre la Russie et le Japon. Les Coréens, soupçonnés de trahison, furent déportés en masse. Leur présence en Ouzbékistan est notable (aujourd’hui 1% de la population) dans les marchés notamment, où les Coréennes occupent une grande place en proposant légumes et salades.
Les routes ont été refaites récemment par les Coréens (ou par les Allemands) : ce sont les plus beaux tronçons.

Durant la guerre, Staline fit déporter de nombreux Allemands considérés systématiquement comme nazis. En outre, à la même époque, plus de 100 000 Juifs russes furent déplacés de force.

- L’histoire emblématique de la famille Khodjaiev

Demeure de la famille Khodjaiev

A Boukhara, nous avons visité la magnifique maison de Faizoullah Khodjaiev. Ce fils d’un riche marchand mit toute sa fortune au service du communisme et devint « Président du Conseil des Commissaires du Peuple de l’Ouzbékistan soviétique » en 1924.
Mais il s’insurgea rapidement contre les diktats de la politique soviétique notamment contre la monoculture du coton imposée à son pays. « Le coton ne se mange pas » disait-il. Il fut donc arrêté en 1937 et condamné à mort par Staline. Sa famille fut exilée dans un goulag sibérien.
Sa résidence demeure, témoignage émouvant d’une famille généreuse broyée par un régime totalitaire. Ce fut cependant une pierre sur le chemin de l’Indépendance.

- En conclusion

Pour conclure cette partie, je rapporterai les propos en demi-teinte de deux de nos guides qui disent que, depuis l’Indépendance (1991), la vie en Ouzbékistan est plus difficile, l’enseignement ayant perdu ses remarquables qualités, l’ascension sociale étant freinée. (« nos parents vivaient mieux » nous dit la jeune guide d’origine russe, « ils pouvaient voyager, presque sans frais, dans tous les pays satellites de l’Union Soviétique »), et l’avenir est incertain. Ils laissent entendre que dans le conflit qui, aujourd’hui, s’installe entre les Ukrainiens et la *Russie, ils soutiendraient cette dernière.

Ce que nous pensons

- Un pays indépendant

L’Ouzbékistan a acquis son indépendance presque sans le vouloir et sans violence. L’effondrement de l’URSS en 1991 provoqua de facto l’indépendance des Républiques soviétiques. En Ouzbékistan, l’ancien chef du parti communiste, Karimov prêta serment comme président…main sur le Coran. Et depuis bientôt 25 ans c’est lui qui est au pouvoir. Chef d’Etat dur, il est aujourd’hui respecté par la population pour avoir su redonner au pays son identité, en le libérant peu à peu de l’empreinte soviétique ce qui se fit au prix d’une réislamisation de la société. Le chemin vers la démocratie est très étroit et dépendra de la succession de Karimov, président âgé et malade.

- Un pays moderne face à des défis

L’Ouzbékistan est au cœur de l’Asie centrale. Les choix politiques accomplis par le président s’efforcent de maintenir l’indépendance du pays écartelé entre les grands puissances : la Russie évidemment, les Etats-Unis (établissement de bases américaines nécessaires pendant la guerre d’Afghanistan) et la Chine très demandeuse de gaz ouzbek.

Le Syr Daria

La vallée du Ferghana (que nous n’avons pas visitée), plaine alluviale fertile alimentée par le Syr Daria, attire les convoitises des pays islamiques car l’Islam y est plus radical que dans le reste du pays.

L’Ouzbékistan dispose d’un fort potentiel économique : exploitation du pétrole, du gaz naturel, du charbon et de l’or. Ce serait la seconde zone de réserves de gaz au monde après la Russie.
Evidemment, le tourisme est une force importante, le pays ayant bénéficié d’un découpage « arbitraire » lui permettant de conserver les 3 villes les plus belles de l’Asie centrale (Samarkand, Boukhara et Khiva).

Les sujets d’inquiétude sont grands. L’Ouzbékistan moderne devra affronter :
- la montée de l’Islamisme,
- les affirmations ethniques des peuples divers, à l’intérieur et aux frontières,
- l’héritage désastreux de la monoculture du coton,
- les aspirations d’une classe moyenne qui paraît regretter le passé idéalisé.

La mer d’Aral...

Pour moi, le défi majeur est d’ordre écologique : ce pays, délimité par deux fleuves qui furent grands et aujourd’hui épuisés, pourrait devenir un désert, balayé de tempêtes de sable salé (il faut se rappeler que la mer d’Aral au début du XXème siècle fournissait des tonnes de poissons à l’URSS pour éradiquer temporairement les famines chroniques du peuple russe).
Ce désert serait traversé d’un gigantesque gazoduc entre la Mer Caspienne et la Chine…Une autre route de la Soie pourrait-on dire avec cynisme ! Tandis que les villes - oasis (protégées par l’Unesco et la conscience des habitants) rayonneraient encore, au soleil couchant, de leurs coupoles bleues ou turquoise dans les sables ocre du désert.

Bibliographie :
Pour ces trois articles je me suis inspirée d’abord de notre expérience de voyage et, pour certaines informations historiques ou géographiques, des trois guides suivants :
- Le Petit Futé (Ouzbékistan )
- Le guide Olizane/ Découverte
- Les Carnets de Route Marcus.

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