Navigation rapide

Accueil > Politique > Questions mondiales > Printemps arabes > Les origines du soulèvement tunisien

Les origines du soulèvement tunisien

2ème conférence de Chérif Ferjani, professeur en science politique à Lyon 2

vendredi 22 novembre 2013

par (Dominique V)

Il y a 2 messages de forum.

Si le déclencheur a été, à Sidi Bouzid, le suicide d’un jeune diplômé chômeur, les causes lointaines sont économiques, politiques et historiques.

Causes économiques

Le modèle économique tunisien avait commencé à s’essouffler.
Il était fondé sur la sous-traitance de nombreuses industries françaises et européennes. Ces entreprises avaient délocalisé leur production en Afrique du Nord (le transport étant peu onéreux) pour obtenir le coût de production le plus bas et vendre aux populations aux revenus plus élevés.
Il n’y avait aucune obligation pour les entreprises françaises d’investir dans le pays.

Cependant, il y avait en Tunisie une tradition syndicale assez forte pour résister au patronat. L’Europe va donc chercher ailleurs les profits possibles. Le chômage en Tunisie devient chronique. Les investissements étrangers diminuent de plus en plus du fait de la mondialisation de l’économie.

Causes politiques

Le président Bourguiba

La Tunisie connaît donc des crises successives en 1977,1978.
En 1980, sous la présidence de Bourguiba (président depuis l’Indépendance en 1957 jusqu’à son « départ » en 1987) la répression est sévère : prison à perpétuité, condamnation à mort.

Cependant, le régime cherche aussi l’ouverture en soutenant les partis qui ne remettent pas en cause le système. Il y aura donc une libération de certains prisonniers politiques et des syndicalistes. Bourguiba, qui souhaite un pluralisme politique, organise les premières élections plurielles : son but n’est pas de faciliter l’alternance politique mais de faire accepter la présidence à vie !

On constate de plus en plus de désenchantement vis à vis du régime de Bourguiba pourtant commencé dans une atmosphère de libéralisme et de laïcisation de la société tunisienne.
Les crises successives et la répression favorisent la montée de l’Islamisme.

Bourguiba recherche le soutien du général Ben Ali, ministre de l’Intérieur, puis premier ministre en 1987.
Durant les années 80, on assiste à :
- une remise en cause permanente du pouvoir tandis que les ministres font le vide autour de Bourguiba
- des tensions avec la Libye qui, en 1985, expulse les travailleurs immigrés tunisiens
- des tensions avec les Islamistes qui apportent une certaine caution à ce pouvoir autoritaire

Cependant, on légalise deux nouveaux partis politiques :
- le « Mouvement des Démocrates Socialistes » (couleur verte),
- le Parti de l’Unité Populaire,
tandis que le Parti communiste s’autodétruit. C’est aussi le début de la fraude électorale massive.

Les Tunisiens sont désabusés. Ben Ali organise la mise à l’écart de Bourguiba par un « putsch médical ».
L’ouverture n’aura donc bénéficié qu’aux Islamistes. Un programme de philosophie et de sciences islamistes est mis en place dans l’enseignement.
La Gauche devient le véritable ennemi du pouvoir, est accusée d’athéisme et d’être un vecteur d’occidentalisation de la société.

Causes historiques

L’Ayattolha Khomeiny

En 1979, la Révolution islamiste en Iran aboutit à la création d’une République islamiste dotée d’un faible pouvoir législatif puisqu’on applique la loi coranique.

En Egypte, Anouar el Sadate lance une offensive majeure contre les intellectuels, les Nassériens, les communistes, les féministes. La Charia entre dans la législation.

Dans tout le monde musulman et donc en Tunisie, les partis islamistes reprennent confiance et se démarquent du pouvoir en place avec lequel ils avaient collaboré. La contestation à caractère social et politique devient aussi religieuse. Les régimes choisissent la répression.
Pour les oppositions de gauche, la question est la suivante : quel est l’ennemi principal ? le pouvoir ou les Islamistes ? Une certaine gauche choisit de fermer les yeux sur la répression contre les Islamistes.
Le problème est le même en Egypte et en Algérie (G.I.A ou les militaires ?).

La Révolution tunisienne

En 2010, le chômage a augmenté de manière considérable, notamment celui des jeunes diplômés qui choisissent d’émigrer. Les chômeurs diplômés sont devenus une force politique. Les mots d’ordre des syndicats qui encadrent le mouvement sont : travail, liberté, dignité.

La Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) fondée en 1976, doyenne des ligues des droits de l’homme en Afrique et dans le monde arabe est interdite par Ben Ali. Les avocats deviennent alors une force importante de la société civile.
En janvier 2011, des affrontements ont lieu à Tunis. Ben Ali, soutenu par la France, promet un gouvernement d’Union Nationale. Il utilise l’armée pour réprimer les émeutes et pour protéger les établissements publics. Le régime est devenu peu à peu une dictature (répression, emprisonnements, torture des opposants, atteintes à la liberté de la presse).

Le président Ben Ali et son épouse

Cependant, la Tunisie jouit toujours d’une bonne image dans le monde occidental et reste soutenue par le gouvernement américain (Bush) et la France (Philippe Séguin, Michèle Alliot Marie).

Ben Ali est contraint de quitter le pays le 14 janvier 2011. Il aura été au pouvoir de 1987 à 2011, soit plus de 23 ans ! (après 4 réélections !).
Après son départ en Arabie Saoudite, on désigne le premier ministre pour lui succéder, puis on choisit le Président de l’Assemblée Nationale pour une période de trois mois. Le gouvernement reste le même.
Les manifestations continuent. Le gouvernement est dissous en février. Le deuxième gouvernement de transition organise des élections pour une Assemblée Constitutionnelle.

On assiste alors au retour d’exil des Salafistes. C’est un mouvement sunnite qui revendique un retour à l’Islam des origines, celui des premiers siècles.Les Salafistes veulent revenir à l’identité arabo-musulmane d’avant la colonisation.

Salafistes tunisiens devant une mosquée

Ils sont toutefois divisés :
- Certains voudraient un Emirat islamiste et chassent les Imams en place.
- D’autres promettent le respect des droits de l’homme et essaient de sauver l’héritage de Bourguiba. Ce sont eux qui vont gagner les élections.

En Egypte au même moment, Moubarak, lâché par ses alliés américains, doit quitter le pouvoir. Il reste cependant au pays en attendant son procès.

Vos commentaires